AIMER LA VIE - 2

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Situations objectives ou subjectives

1220 Poème de couleurs

1220 Poème de couleurs

Il est étrange de constater que je suis parfois gêné par le moindre bruit, mais que je n’ai aucun problème pour écrire dans un bistrot, où, comme ici, la musique joue à plein tube, couvrant à peine le brouhaha des conversations et des gamins qui braillent. Comme quoi on n’est pas gêné par des situations objectives réelles, mais par des situations subjectives, probablement construites sur des mémoires ou des images du passé, beaucoup plus puissantes que la réalité elle-même. Et c’est la même chose pour toutes les situations de notre vie, chaque fois que nous aimons ou n’aimons pas les circonstances que nous vivons. Si nous parvenons simplement à observer la situation réelle, sans la comparer à des images ou des souvenirs, et sans la juger, toute notion d’agréable ou désagréable, de gênant ou non, disparaît immédiatement ; nous vivons alors la situation telle qu’elle est, et elle disparaît si vite dans le passé que nous n’avons pas le temps d’en souffrir ou d’en jouir dans le présent. La souffrance et la joie n’existent que par rapport à des images ou des situations connues du passé. Tout ce qui est nouveau, imprévu, inconnu, ne produit ni douleur ni plaisir, mais est vécu pleinement, sans dualité entre l’action et son observation. L’acteur et l’observateur ne sont qu’un. Le tout est d’arriver à percevoir, à ressentir les situations comme si elles étaient à chaque fois entièrement nouvelles et inconnues, avec l’émerveillement du petit enfant qui découvre le monde.

Cela revient à aborder chaque situation sans préjugé. Mais pour y parvenir, il faut être très vigilant, car le processus de notre pensée, qui procède par comparaison à des références en mémoire, est devenu automatique. Dans chaque situation, au lieu de se dire « dans cet endroit je me sens mal », « cette personne m’est antipathique », « j’aime cela », « je n’ai pas envie de faire ça », il faudrait se demander pourquoi, comprendre à quel souvenir on se réfère, et si la situation présente est bien comparable à celle qui semble permettre de la juger. Souvent, on redoute une situation, ou au contraire on se réjouit d’un événement, et finalement les choses ne se produisent pas du tout comme on l’avait craint ou espéré. Alors, soit on est déçu, soit on s’est fait du souci pour rien. Dans les deux cas, le résultat est souffrance, avant ou après ; alors que, si on attend sereinement la situation, on agit sans idées préconçues et seulement en fonction de la réalité qui se présente dans l’instant, sans penser. Et c’est comme ça pour toutes les situations.

 

9 octobre 1985, Faaa (Tahiti)

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