Restaurant chinois
Je ne savais pas si j’allais rentrer déjeuner ou manger en ville ; à force d’hésiter, le temps a passé et c’était trop tard pour rentrer. Je suis allé dans le chinois qui est à l’angle du soï Lang Suan : ce fut le coup de foudre pour la Chine et un restaurant tout à fait comme je les aime. Une grande salle, du carrelage par terre, des tables sans nappes et des assiettes en plastique ; à l’entrée, de grands étalages de bouffes et des quantités de casseroles avec des mets qui mijotent : une ambiance un peu trattoria, par certains côtés. La patronne, grosse et plantureuse dans une robe bleu vif collante, perchée sur des talons aiguilles, les lèvres couvertes de rouge à lèvres ; aimable, mais sans empressement superflu, et avec juste ce qu’il faut de vulgarité. Tout un escadron de jeunes transportent des plats copieux d’une nourriture grasse qui tient bien au corps. J’ai mangé des rouleaux de printemps aux crevettes et des légumes sautés avec du thé chinois : c’était abondant et délicieux. Et je me régalais de l’ambiance animée et bruyante, du va-et-vient continuel des clients et des serveurs ; une ambiance bien différente des restaurants thaïs avec de jeunes serveurs efféminés et rêveurs qui ne comprennent pas ce qu’on leur demande.
Ici, tout est rapide, efficace, avec un brin de désinvolture, à la bonne franquette. Je me sentais tout à fait bien dans ce restaurant, un peu comme si j’étais en voyage. Je regardais les gens, étais pleinement dans le moment présent et, comme cela m’arrive de temps en temps depuis quelque temps, les trouvais tous beaux et sympathiques. En fait, c’est moi qui étais plein de bienveillance pour eux : alors je ne voyais plus que leurs bons et beaux côtés. C’est une sensation très agréable. Je me suis rendu compte que si je souriais à une pauvre fille pas très favorisée par la nature et un peu renfrognée, elle se détendait, souriait aussi et en devenait presque belle. Une communication d’amour se créait avec des gens que, dans d’autres circonstances, je n’aurais même pas regardés ; parce que je suis souvent trop préoccupé par moi-même et mes petits problèmes, et je m’isole plutôt que de me fondre dans cette interrelation qui existe entre toutes choses et entre tous les êtres.
20 septembre 1989, Bangkok