Que vais-je écrire ?
Que vais-je écrire ? Lorsque mon classement serait fini, j’avais l’intention de recommencer à peindre et à écrire. Pour la peinture, je sais ce que je vais faire : continuer dans l’esprit de la série Plénitude sur laquelle j’ai travaillé l’été dernier. Pour l’écriture, je pensais continuer les projets de livres commencés sur le sujet de l’Essence de la voie. Il me semblait que les plus importants, dans le Journal et les autres textes que j’ai écrits, étaient les textes d’inspiration spirituelle. Mais l’autre jour, comme René me rendait, après les avoir lus, les derniers épisodes du Journal déposés à l’APA, de 1992 à 2000, il me disait qu’il les avait beaucoup aimés, à part les Notes de Dharma, qui l’ennuient. Cela remettait sérieusement en question mes nouveaux projets de livres, car il n’est sûrement pas le seul à ne pas aimer les Notes de Dharma. Depuis, il m’a expliqué un peu mieux sa remarque. Ce n’est pas le spirituel qui le dérange, mais les textes techniques sur le bouddhisme et d’autres traditions : c’est vrai qu’il y en a beaucoup dans les Notes de Dharma.
Depuis trente ans, je ne lis presque que des livres de Dharma (de spiritualité), et ils constituent la plus grande partie de ma bibliothèque. Ils parlent de la voie spirituelle, de la pratique, de la réalisation, de l’éveil… ce qui me semble le plus important dans la vie. Les romans décrivent les turpitudes du samsara*. Nous y sommes déjà confrontés dans la vie quotidienne ; est-il nécessaire, en plus, de lire des livres ? C’est pourquoi, ce qui me semble important, c’est d’écrire des textes qui vont permettre d’élever le niveau de conscience du lecteur, plutôt que de l’identifier encore plus avec les souffrances et les insatisfactions du monde phénoménal. Je me demandais alors s’il y avait d’autres sujets qui m’inspiraient, et je me rappelais des descriptions de couchers de soleil à Tahiti, lorsque j’écrivais sur la plage. Il s’agit de la pure vision. La pure vision de la nature, mais aussi du monde. Lorsque la vision est libérée de ses aspects anecdotiques, des commentaires du mental, et surtout de nos histoires.
Je pensais alors aux moments d’émerveillement que j’éprouve souvent lors de mes promenades du soir dans mon quartier à Chiang Mai : ce sont aussi de pures visions. Et je me disais que je pourrais très bien écrire un livre sur la vie de ce quartier. C’est un sujet aussi varié qu’inépuisable. J’y songe depuis une semaine et j’ai des tas d’idées. Il ne reste plus qu’à commencer à écrire… Il s’agit aussi de trouver comment décrire avec des mots ces pures visions, sans être discursif ou descriptif. Ne serait-il pas plus simple de faire un album de photos ? Mais est-ce qu’une image qui m’émerveille va nécessairement émerveiller les autres ? La poésie, est-elle ce qui permet d’exprimer la vision au lieu de l’image ?
* Samsara (pali) : littér. transmigration perpétuelle. Désigne le cycle des renaissances – le monde conditionné dans lequel nous vivons – qui, tant que nous n’en avons pas perçu la nature illusoire et le considérons comme la seule réalité, est comparé par le Bouddha à un océan de souffrance.
27 mars 2016, Chiang Mai